Un mode de combat quasi unique : le choc (1)
L’ordonnance du 20 mai 1788 qui régissait les
manœuvres de cavalerie a été remplacée par celle du 1er vendémiaire an XIII (23
septembre 1804), qui simplifie ces dernières. Comme pour l’infanterie, le
respect des alignements s’avère impératif afin de conserver la cohésion censée
garantir l’effet de masse. Mais cela exige des montures de taille comparable,
fournissant une battue identique, si bien que les règlements distinguent des
chevaux de cavalerie légère, de dragons (utilisés également par l’artillerie à
cheval) et de cuirassiers (ou carabiniers). La formation de base demeure la
ligne de quatre cavaliers (qui, par simple conversion d’un quart de tour,
devient file). Une fois que la recrue maîtrise l’équitation, l’entraînement
consiste donc d’abord en évolutions par quatre ou par peloton (c’est-à-dire par
demi-compagnie), la cohésion des quatre pelotons d’un escadron demeurant le
principe de base de la manœuvre en campagne.
Les formations se répartissent en deux grands
types : la colonne pour le déplacement ou les mouvements d’approche, la ligne
pour le combat afin d’utiliser pleinement la puissance de choc. Étant donné
qu’un cheval occupe, dans un rang, un peu moins d’un mètre, le front d’un
détachement de cavalerie correspond, en ligne, à peu près à la moitié de
l’effectif considéré. Une compagnie de cuirassiers, se préparant à charger sur
deux rangs (un par peloton), représente ainsi un quadrilatère de cinquante
mètres sur six.
En règle générale, l’arme d’épaule (fusil ou
mousqueton) est essentiellement utilisée par les postes avancés, pour la
défense d’un stationnement ou encore pour l’attaque à pied d’une position
organisée. Toutefois, ce combat d’infanterie demeure exceptionnel. On cite
souvent à ce propos l’action en 1805 d’un escadron du 9e dragons qui combat à
pied dans les rues du village de Wertingen pour en déloger les tirailleurs
ennemis. En revanche, avant-gardes ou flancs-gardes qui explorent le terrain
durant les marches progressent le mousqueton ou le fusil posé sur la cuisse,
prêts à faire feu. Enfin, le tir à cheval est également pratiqué, en dépit de
la difficulté à recharger et, surtout, des résultats aléatoires qu’il procure.
Contrairement à l’infanterie, dont l’efficacité
tient avant tout à sa capacité de feu (les affrontements à la baïonnette
s’avèrent en réalité très rares), la cavalerie agit essentiellement par le choc
en recourant à l’arme blanche, en l’occurrence le sabre (l’usage du pistolet
est en effet abandonné depuis 1776 dans la cavalerie française et la lance
n’est introduite qu’en 1811). Les spécialistes de l’époque n’envisagent
d’ailleurs pas d’autre mode d’action. Guibert, référence de la pensée militaire
du XVIIIe siècle, est très net dans son Essai général de Tactique (1772) : « La
cavalerie n’a qu’une manière de combattre, c’est par la charge ou le choc.
Toute action de feu en troupe lui est impropre. La vitesse et la cohésion sont
ses qualités essentielles. » Thiébault est tout aussi catégorique : « La cavalerie
a deux manières de combattre, en chargeant et de pied ferme. Cette dernière lui
ôte une si
grande masse de ses avantages qu’elle ne doit
être adoptée que par l’effet d’une véritable nécessité
(…). Observons cependant que, lorsqu’elle sera
réduite à cette manière de combattre, la cavalerie
devra faire précéder l’emploi du sabre par celui
de ses armes à feu, afin de compenser, autant que
possible, l’inconvénient de l’immobilité. »
Un régiment peut attaquer selon quatre modalités
: en ligne (avec ses escadrons accolés), en colonne (par escadron ou peloton),
en échelons ou en échiquier. La cavalerie lourde adopte habituellement la
colonne de peloton (25 hommes de front, chacun des deux pelotons étant disposé
sur deux rangs), ce qui accroît la puissance de choc. En général cependant,
lorsqu’il s’agit d’assaillir un carré d’infanterie, la largeur du front
correspond à celle d’un escadron, avec pour direction d’attaque l’un des angles
du carré. La formation en bataille, utilisée notamment pour la charge, se prend
sur deux rangs (séparés de 65 cm environ), un cavalier du deuxième rang pouvant
espérer éviter un cavalier du premier rang qui chute, ce qui s’avérerait
impossible pour un cavalier de troisième rang. Si bien qu’en dépit de son règlement
qui prévoit trois rangs, la cavalerie autrichienne charge elle aussi, sous
l’Empire, sur deux rangs. Dans tous les cas, officiers et sous-officiers ont
des places strictement assignées dans le dispositif, ce qui permet d’entraîner
par l’exemple les soldats, qui ont toujours sous les yeux un cadre dont il
suffit d’imiter les mouvements.
18e Dragons à Elchingen |
Les cavaliers quittent leur position de départ au
trot, prennent le petit galop à deux cents pas de l’ennemi et le galop de
charge à quatre-vingts pas, à la sonnerie de trompette. Mais l’effet de masse
(la progression « botte à botte ») compte davantage que la vitesse pour briser
les rangs adverses. Dans certains terrains défoncés ou encombrés d’obstacles,
la cavalerie progresse au trot (on verra même des unités charger quasiment au
pas dans la tempête de neige d’Eylau). À Marengo, la grosse cavalerie de
Kellermann prend le galop à soixante mètres seulement des dragons autrichiens.
À Altafulla, Curély fait sonner la charge à cinquante mètres de la cavalerie
espagnole. À Zehdenick, Lassalle charge à dix mètres. Les cavaliers peuvent
également se contenter d’attendre l’ennemi. Lors de la retraite du Portugal,
Sainte-Croix demeure immobile avec ses dragons, sabre pointé en avant puis
contre-attaque après le choc. Bref, en matière de combat à cheval, la compacité
apparaît préférable au mouvement. Ardant du Picq résume ces observations en
quelques lignes : « La cohésion et l’ensemble faisant la force de la charge, on
s’explique, l’alignement étant impossible à une allure vive où les plus vites
dépassent les autres, comment il ne faut lâcher la bride que lorsque l’effet
moral est produit et qu’il s’agit de le compléter en tombant sur l’ennemi déjà
en désordre, en train de tourner le dos, etc. Ainsi chargeaient les cuirassiers
: au trot (…). Jomini parle de charges au trot contre cavalerie lancée au galop
et cite Lasalle qui en agissait souvent ainsi et qui, voyant cavalerie accourir
au galop, s’écriait : “Voilà des gens perdus.” Jomini fait de cela affaire de
choc : le trot permet l’union, la compacité que le galop désunit. Tout cela
peut être vrai ; mais affaire d’effet moral avant tout. Une troupe lancée au
galop qui voit arriver à son encontre un escadron bien serré, au trot, est
étonnée d’abord d’un aplomb semblable ; par l’impulsion matérielle supérieure
du galop, elle va la culbuter ; mais point d’intervalles, point de trous par où passer
en perçant. »
Le général Thiébault, de son côté, théorisait
déjà cela d’une façon générale en quelques lignes : « La plus grande force
d’une cavalerie qui charge étant dans l’effet moral qu’elle produit, et dans
son choc, et cet effet moral et ce choc ne pouvant résulter que de l’ordre et
de la vitesse, tout doit être sacrifié à le maintenir et à la rendre toujours
croissante, sans rien perdre de la régularité dans les rangs, dans la
formation, dans les mouvements et dans l’attaque. » Dès lors, la charge en
muraille demeure le mode habituel, la charge en ordre dispersé (« en
fourrageurs ») étant pratiquée seulement contre l’artillerie.
Sources :
1/ Jean-François Brun, Le cheval dans la Grande
Armée, Revue historique des armées - 2007
2/ Thiébault, Manuel général du service des
états-majors généraux et divisionnaires dans les armées – 1813
3/Ardant du Picq, Études sur le combat – Combat
antique et combat moderne