Avant d’exposer en détail l’organisation de la cavalerie, il
importe de conserver à l’esprit que cette arme n’emporte plus la décision à l’époque
impériale . La victoire est désormais principalement liée aux
capacités de l’infanterie. Les analyses du général Thiébault s’avèrent à cet
égard sans appel (2) : « L’erreur qui est la plus fatale [à la cavalerie] est
de la considérer autrement que comme un accessoire de la force des armées. À
peu d’exceptions près, elle doit servir à compléter la victoire, parfois à la
décider, et non à l’obtenir. L’artillerie doit ébranler et entamer les masses
et les lignes, l’infanterie doit les culbuter et les rompre, la cavalerie doit
les disperser et faire des prisonniers. Ses charges doivent être peu
fréquentes, mais quand elle en exécute, elle doit le faire à toute outrance ;
et comme elle ne peut combattre que corps à corps, elle ne doit paraître que
pour frapper. » Parmi bien d’autres, on peut illustrer cette réalité en
rappelant le combat de Heilsberg en juin 1807 où, après plusieurs charges de
cuirassiers et de dragons, les fantassins du maréchal Ney passent à l’attaque
et enfoncent le dispositif ennemi.
Comme dans toutes les armées de l’époque, la cavalerie
remplit un double rôle. Elle permet d’abord de se renseigner loin en avant et
de garantir la sûreté des flancs lors des déplacements. Ces fonctions sont
essentiellement dévolues à la cavalerie légère, hussards ou chasseurs, recrutée
parmi les hommes de petite taille, munie de montures rapides, et qui peut à
l’occasion effectuer des raids ou mener des opérations de harcèlement (ce que
les auteurs nomment alors « la petite guerre »).
Mais la cavalerie légère agit également par le choc, c’est-à-dire en pratique
la charge sabre au clair, qui se termine théoriquement par un affrontement
direct.
Il existe parallèlement une seconde subdivision d’arme, la «
grosse cavalerie » (la « lourde » pour reprendre notre expression
contemporaine), qui retient conscrits et volontaires de taille élevée, ainsi
que les chevaux hauts et puissants. Spécialement conçue pour la charge qui
désorganise l’attaque de l’adversaire ou disloque son dispositif, elle regroupe
les régiments de cuirassiers et de carabiniers, dotés d’équipements spéciaux de
protection, casques et cuirasse théoriquement à l’épreuve des balles, alors que
le reste de la cavalerie porte simplement, un jour de bataille, le manteau
roulé en sautoir sur l’épaule gauche, de façon à garantir autant que faire se
peut la poitrine (et dans une moindre mesure le côté de la main de bride).
Charge des chasseurs à cheval de la Garde à Austerlitz |
Il faut savoir que sous l’Ancien Régime, l’appellation « cavalerie » désigne
exclusivement la grosse cavalerie. Toutefois, en 1765, la cavalerie française a
abandonné la cuirasse si bien que, sous la Révolution, seul le 8e régiment de
cavalerie la porte encore. La réorganisation consulaire modifie cet état de
fait et classe dans la cavalerie de bataille (ou grosse cavalerie) 4 régiments
(en plus du 8e) le 17 septembre 1802. Le 1er vendémiaire an XII (24 septembre
1803) sont créés les cuirassiers. Forts de 12 régiments (puis 13 à partir de
1807 et enfin 14 en 1810), ils reçoivent progressivement, jusqu’au début de
1805, une cuirasse double de 7,5 kg (qui protège le torse et le dos) et un
casque destiné à remplacer le chapeau. Au terme du décret du 24 décembre 1809,
d’autre part, les carabiniers, jusqu’alors équipés d’un uniforme de tissu et
d’un bonnet à poil, sont dotés d’une cuirasse et d’un casque à la romaine. Dès
lors, à son apogée, l’Empire dispose de 16 régiments spécialisés, considérés
comme des unités d’élite. L’existence de cuirassiers demeure apparemment
l’apanage des grands États européens, les petites ou moyennes puissances ne
possédant que des dragons (casqués mais non cuirassés). Répondant à un usage
tactique particulier dans la bataille, la présence de cuirassiers au sein de la
Garde impériale ne saurait par ailleurs se justifier, les grenadiers à cheval,
épaulés par le régiment de dragons à partir de 1806, y jouant le rôle de grosse
cavalerie.
Les cuirassiers à Friedland |
Les dragons, censés au début de l’Empire combattre aussi
bien à pied qu’à cheval, utilisent pratiquement de façon exclusive le
déplacement et le combat équestre et sont très rapidement considérés comme
membres à part entière de la grosse cavalerie. Mais le fait qu’ils soient
seulement munis d’un casque et dépourvus de cuirasse ne permet pas de les
assimiler totalement aux cuirassiers, bien qu’au combat ils puissent intervenir
aux côtés de ces derniers, voire à leur place. D’où une subtile nuance
terminologique dans les récapitulations de 1812, qui distinguent divisions de
cuirassiers (cuirassiers et carabiniers) et divisions de grosse cavalerie
(dragons).
Une autre question, tout aussi épineuse, est celle des chevau-légers lanciers. Créés le 18 juin 1811 sur le modèle des cavaleries d’Europe orientale, issus des dragons, équipés d’un pistolet, d’un mousqueton (avec baïonnette), d’un sabre et d’une lance de 2,75 mètres, ils prennent rang dans la cavalerie légère mais agissent en 1812 de concert avec les cuirassiers, auxquels ils sont rattachés à raison d’un régiment par division.
2e Dragons à Sainte-Croix en plaine (24/12/2013) |
Une autre question, tout aussi épineuse, est celle des chevau-légers lanciers. Créés le 18 juin 1811 sur le modèle des cavaleries d’Europe orientale, issus des dragons, équipés d’un pistolet, d’un mousqueton (avec baïonnette), d’un sabre et d’une lance de 2,75 mètres, ils prennent rang dans la cavalerie légère mais agissent en 1812 de concert avec les cuirassiers, auxquels ils sont rattachés à raison d’un régiment par division.
NB : Sous la Révolution existent 18 (puis 21) régiments de
dragons. Les réorganisations menées par le Consulat en 1804 aboutissent à un
total de 30 corps, obtenu par l’adjonction aux 21 déjà existants de 7 régiments
de cavalerie et 2 de hussards. En 1805, chaque régiment aligne trois escadrons
à cheval et un escadron à pied. Chacun de ces derniers est intégré au départ du
camp de Boulogne dans la division de dragons à pied du général Baraguay
d’Hilliers. Les chevaux pris aux troupes adverses lors de la campagne de 1805
permettent ensuite de les monter. On retrouvera en Espagne des dragons à pied,
mais ils constituent là encore une minorité, d’ailleurs rapidement dotée de
chevaux.
Malgré ces distinctions, l’organisation des régiments de
cavalerie demeure semblable, quelle qu’en soit la spécialité. L’unité
administrative de base, pour le service ou la police de la troupe, est la
compagnie. L’escadron en revanche, composé de deux compagnies, constitue
l’unité tactique élémentaire, commandée par le plus ancien des deux capitaines.
Son effectif a légèrement varié au long de la période napoléonienne. En l’an X,
l’escadron de carabiniers ou de cavalerie équivaut à 192 combattants, celui de
dragons, de hussards ou de chasseurs à 232. Puis, le 10 mars 1807, un décret
augmente le nombre de simples soldats. En fait, durant la majeure partie de
l’Empire, l’escadron de grosse cavalerie représente 200 hommes (tous grades
confondus), celui de légère 250.
En 1812, un régiment aligne théoriquement quatre escadrons
de guerre et un cinquième de dépôt (9e et 10e compagnies) spécialisé dans
l’instruction et les remontes. L’étude des livrets d’appel montre qu’une
brigade regroupe généralement 8 escadrons (de deux, voire trois ou quatre
régiments différents). Une division est quant à elle formée de deux ou trois
brigades et d’une à deux compagnies d’artillerie à cheval. De plus, en règle
générale, les divisions sont composées d’une même subdivision d’arme, légère ou
lourde (avec toutefois là encore des divisions de cuirassiers et de carabiniers
d’un côté, et des divisions de dragons de l’autre, dans le souci d’un emploi
tactique optimal).
Reste à aborder la question de la mobilité. La charge portée par l’animal définit en effet les possibilités de déplacement et, partant, la tactique et l’emploi de la cavalerie. À la fin de l’Ancien Régime, en France, en moyenne, elle représente (homme compris) 175 kg par monture. Or, la propension à doter les cavaliers d’une panoplie d’armes* provoque sous l’Empire un certain nombre de critiques de la part des spécialistes qui estiment qu’on les alourdit inutilement** (ce qui conduit certains d’entre eux à « perdre » une portion de leur armement dès l’entrée en campagne). La mobilité des diverses unités de cavalerie s’avère néanmoins très comparable. Fondée sur une combinaison des trois allures, le pas (100 m/minute), le trot (240 m/minute) ou le galop (300 m/minute), elle autorise une vitesse moyenne de déplacement, en dehors du champ de bataille, de 4,8 à 5 km/h en terrain praticable et de 6 à 7 km/h sur chemin (la progression de l’infanterie étant de 3 à 4 km/h et celle de l’artillerie d’environ 3 km/h en terrain uni). Mais l’entraînement des troupes permet, au début de l’Empire, de dépasser si nécessaire ce seuil moyen. En 1806, les hussards de la brigade Lasalle couvrent 1 160 km en 25 jours (soit 46 km quotidiens en moyenne) tout en combattant les Prussiens !
4e Dragons |
Reste à aborder la question de la mobilité. La charge portée par l’animal définit en effet les possibilités de déplacement et, partant, la tactique et l’emploi de la cavalerie. À la fin de l’Ancien Régime, en France, en moyenne, elle représente (homme compris) 175 kg par monture. Or, la propension à doter les cavaliers d’une panoplie d’armes* provoque sous l’Empire un certain nombre de critiques de la part des spécialistes qui estiment qu’on les alourdit inutilement** (ce qui conduit certains d’entre eux à « perdre » une portion de leur armement dès l’entrée en campagne). La mobilité des diverses unités de cavalerie s’avère néanmoins très comparable. Fondée sur une combinaison des trois allures, le pas (100 m/minute), le trot (240 m/minute) ou le galop (300 m/minute), elle autorise une vitesse moyenne de déplacement, en dehors du champ de bataille, de 4,8 à 5 km/h en terrain praticable et de 6 à 7 km/h sur chemin (la progression de l’infanterie étant de 3 à 4 km/h et celle de l’artillerie d’environ 3 km/h en terrain uni). Mais l’entraînement des troupes permet, au début de l’Empire, de dépasser si nécessaire ce seuil moyen. En 1806, les hussards de la brigade Lasalle couvrent 1 160 km en 25 jours (soit 46 km quotidiens en moyenne) tout en combattant les Prussiens !
Le Général Lasalle menant une charge à Wagram. |
Surtout, en dépit des distinctions fonctionnelles établies au sein de la cavalerie française, tous ses régiments connaissent une identité de leur mode de combat, fondé sur un recours au choc de préférence à la fourniture de feux.
* Tous les cavaliers possèdent un
sabre (droit pour les carabiniers, cuirassiers et dragons, courbe pour les
chevau-légers, chasseurs et hussards) et un ou deux pistolets, auxquels les
chevau-légers ajoutent la lance. Les unités de cavalerie légère sont également
dotées d’un mousqueton et d’une baïonnette, les dragons d’un fusil (plus court
que celui de l’infanterie) et de sa baïonnette. Les carabiniers disposent eux
aussi d’une arme d’épaule. L’Empereur songe d’autre part, depuis 1805, à
équiper les cuirassiers d’un mousqueton, mais le décret pris en ce sens le 25
décembre 1811 n’est qu’incomplètement exécuté, si bien qu’en 1813, à une époque
où la France connaît des difficultés à armer l’ensemble de ses troupes, une
cinquantaine de cuirassiers par régiment seulement semblent en être munis.
**La selle complète (c’est-à-dire
le corps de selle et ses accessoires, sacoches, longe-poitrail, sangles,
contre-sanglons, étrivières, étriers, poches à fer, sans oublier la couverture
ou le tapis de selle) pèse environ 26 kg, auxquels il convient d’en ajouter à
peu près autant pour l’armement portatif (sabre, armes à feu) et les vêtements
de rechange. S’y ajoutent les provisions éventuelles et le poids propre du
cavalier (ainsi que, pour les cuirassiers et les carabiniers, celui de la
cuirasse).
Sources :
1/ Jean-François Brun, Le cheval dans la Grande Armée, Revue
historique des armées 2007
2/ Thiébault, Manuel général du service des états-majors
généraux et divisionnaires dans les armées