Wavre 2016

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Providence - 2e Dragons - Wavre 2016

lundi 1 avril 2019

LA CAVALERIE IMPERIALE (3/3)


La cavalerie, composante de la manœuvre (1)

L’emploi de la cavalerie s’inscrit dans la logique des conceptions napoléoniennes. L’Empereur est en effet le premier à affirmer explicitement qu’il dispose d’un « système de guerre », c’est-à-dire de principes généraux autour desquels il a bâti un instrument, la Grande Armée. 
Héritier des penseurs militaires de la fin du XVIIIe siècle (plus particulièrement Guibert, Bourcet et le chevalier du Teil), il s’efforce d’anéantir l’armée adverse par une série de mouvements offensifs et rapides. La campagne s’organise ainsi en trois temps : des manœuvres préliminaires, visant à amener l’adversaire à livrer une bataille décisive, à l’issue de laquelle s’engage la poursuite qui permet de détruire tactiquement l’adversaire. La Grande Armée est dès lors constituée de six à quatorze corps d’armée (composés eux-mêmes de trois à cinq divisions d’infanterie et une ou deux brigades de cavalerie légère) qui sont les pions de manœuvre. Ces derniers peuvent éventuellement être renforcés au moyen de formations spécialisées, la réserve de cavalerie (qui regroupe la grosse cavalerie et éventuellement les unités de légère inemployées dans les corps d’armée), et le grand parc d’artillerie, du génie, des équipages de pont, de siège, des vivres et d’ambulance, véritable arsenal ambulant. Enfin existe toujours une réserve tactique. Cette dernière fonction est généralement remplie par la Garde impériale à partir du moment où, après 1809, l’augmentation de ses effectifs lui permet de jouer ce rôle.

Borodino

Afin de tirer le meilleur parti de sa cavalerie, en application du système conceptuel ayant présidé à l’organisation de la Grande Armée, Napoléon a coutume de réunir ses unités montées en grandes masses auxquelles il assigne une mission particulière. Lors des phases de concentration, la cavalerie couvre le front de ses troupes. Mais elle menace également celui de l’adversaire, dont elle doit disperser ou tromper les escadrons qui cherchent à reconnaître le dispositif français. Pendant les marches d’approche, ensuite, elle couvre et masque les mouvements des corps d’armée. Enfin, pendant la bataille, si elle participe parfois au prélude et/ou à l’action principale, elle demeure toujours partie prenante du dénouement, soit en entamant la poursuite, soit en protégeant la retraite. Dès lors, les missions d’exploration et de sûreté se placent souvent au niveau opératif, tandis que les missions de combat proprement dites (hormis la participation à la poursuite) dépendent plutôt du niveau tactique.

5e Dragons

Contrairement aux Russes, Autrichiens ou Prussiens qui dispersent leur cavalerie lourde au sein des divisions d’infanterie, la Grande Armée, par le biais de la réserve de cavalerie, dispose d’une force autonome caractérisée à la fois par sa puissance (relative) et sa mobilité. Confiée généralement à Murat, elle équivaut en pratique à un commandement purement nominal lors des manœuvres préliminaires, car la réserve ne se déplace pas de façon monolithique durant cette phase. Le fait d’attribuer à un organe spécialisé la responsabilité de la majeure partie des unités montées constitue néanmoins, pour les contemporains, une précaution salvatrice. Comme le remarque le général Thiébault (2), « même avec des soins et dans l’abondance, toute cavalerie, après trois mois de campagne active, a perdu la moitié de ses chevaux ; dans l’abandon et la disette, elle doit être détruite ». Si bien que la réserve de cavalerie a pour finalité « la conservation de ces troupes, autant que leur commandement : en effet, leur conservation requiert la connaissance la plus détaillée de tous leurs besoins, la surveillance la plus active et une autorité entière, quant à leur commandement, il est indispensable que dans une grande action, toute la cavalerie soit réunie sous un chef unique et sous un chef à elle ». En 1812 cependant, l’accroissement de la réserve amène sa fragmentation en corps de cavalerie (une division de cavalerie légère, une à deux divisions de grosse cavalerie), ce qui facilite son utilisation à partir du moment où Napoléon combine la manœuvre de plusieurs armées et non plus seulement de corps d’armée.

Dragons contre cosaques

Un jour de bataille en revanche, toutes les unités de cavalerie présentes, y compris celles affectées aux corps d’armée (à l’exclusion des régiments de la Garde, qui dépendent d’un commandement particulier), sont dans les mains du chef de la réserve. L’Empereur dispose ainsi d’un responsable, analogue au magister equitum des armées romaines, en mesure de gérer directement l’action de la cavalerie, une fois que lui-même aura jugé opportun le moment de l’employer (lancées trop tôt, les unités montées risquent en effet d’être décimées par le feu sans profit). 
La sagesse de cette organisation apparaît paradoxalement à Waterloo. Grouchy, successeur de Murat, est envoyé le 17 juin à la poursuite des Prussiens avec 33 000 fantassins, cavaliers et artilleurs. Ce qui reste de la réserve est donc dépourvu de chef suprême le 18. Ney, qui doit conduire l’attaque sur les carrés anglais, fait charger de sa propre initiative le 4e corps de cavalerie sur l’infanterie britannique, que la canonnade et la mousqueterie n’ont pas encore entamée. Lefebvre-Desnoëttes, croyant que ce maréchal exécute un ordre de l’Empereur, soutient son mouvement avec la cavalerie légère. C’est le désastre. Les escadrons sont hachés par le feu des carrés, cette faute tactique constituant une des causes primordiales de la défaite.

Ney à "Waterloo"

Quelques exemples permettent d’illustrer les diverses utilisations de la cavalerie, et tout d’abord dans les missions de sûreté. Ainsi, au niveau de l’armée, en 1805, Napoléon réunit en vue de la bataille (ce sera Austerlitz) les 1er et 3e CA à l’abri d’un réseau de patrouilles montées, soutenues elles-mêmes par des postes d’infanterie. Mais c’est un rideau qui, du Danube aux montagnes de Bohême, forme une ligne de 200 kilomètres et empêche les Austro-Russes de déceler les mouvements de leur adversaire. Viennent ensuite la quête du renseignement et les missions d’éclairage (le « service de découverte »), qui mobilise un volume variable d’unités en fonction du niveau décisionnel mis en jeu. Le front d’exploration d’une brigade de cavalerie légère peut s’avérer très large (33 km pour la brigade Lasalle en 1805). En 1806, après Iéna, le 1er corps d’armée réalise une marche offensive dans laquelle ses trois divisions d’infanterie (qui progressent sans intervalle entre elles) sont précédées de sa brigade de cavalerie légère qui envoie dans tous les sens, dans un rayon de 30 km, des détachements de 15 à 25 hommes. Parfois également, la quête d’informations mobilise une bonne part de la cavalerie. En témoigne l’exploration menée dans la région de Leipzig en octobre 1806. Là, Murat, à la tête de plusieurs divisions appuyées d’artillerie, passe deux jours à interroger les voyageurs, à s’emparer du courrier et des journaux, collectant le maximum de renseignements sur l’armée prussienne et son axe de retraite. L’Empereur savait l’ennemi absent des lieux mais n’a pas hésité à jouer sur le nombre et la complémentarité des subdivisions d’arme, qui permettait d’éviter l’échec de la mission, le moindre bataillon adverse rencontré à Leipzig suffisant à compromettre les mouvements d’un régiment, voire d’une brigade.

Dresde

Dans la bataille, la cavalerie peut être utilisée pour interdire une portion de terrain, soit en étant en mesure de s’y porter immédiatement, soit en l’occupant réellement. Elle peut aussi appuyer une contre-attaque pour rétablir localement une situation, voire par une charge affaiblir sur un point la pression adverse. C’est l’exemple même d’Eylau où Murat, à la tête de 58 escadrons (suivis des 16 escadrons de la Garde avec Bessières), contrecarre la progression d’une colonne de 15 000 grenadiers russes. Elle peut enfin soutenir l’action décisive. À Wagram, la force d’assaut de Macdonald est composée de huit bataillons déployés sur deux lignes, de huit bataillons en colonne serrée sur les ailes, et d’une division d’infanterie en réserve en arrière. Mais les flancs du dispositif sont protégés par quatre escadrons de carabiniers.

Eylau

Thiébault(2) recense ainsi un certain nombre de missions possibles : tourner l’ennemi et le prendre à revers, couper une ligne d’infanterie, charger la cavalerie adverse, enlever une batterie, enfoncer un carré, poursuivre un adversaire en retraite ou, inversement, couvrir le ralliement d’une unité amie. La cavalerie demeure cependant parfois impuissante face à une infanterie bien entraînée. À Krasnoë, le 14 août 1812, Murat ne parvient pas à entamer un corps isolé de 10 000 fantassins russes, qui le tiennent éloigné par leur feu. En fait, hormis les raids ou les reconnaissances dans la profondeur du dispositif ennemi, la cavalerie agit toujours avec un soutien d’infanterie. Le 9 octobre 1806, par exemple, au combat de Schleiz, deux régiments français de cavalerie légère, ramenés par les forces adverses numériquement supérieures, reçoivent le secours du 27e régiment d’infanterie légère, si bien que l’affaire se termine par un succès français.

Chasseurs de la Garde à Wagram

Une manœuvre de cavalerie ne se limite toutefois pas à un simple déplacement en avant, au trot ou au galop. L’on s’efforce de combiner manœuvres de front et de flanc en utilisant l’appui procuré par l’artillerie à cheval, dont les servants agissent au rythme du reste de la cavalerie. De même, face à un carré d’infanterie, il importe avant tout d’éviter les feux directs, extrêmement meurtriers, en attaquant soit un front en diagonale, soit un angle. Dans tous les cas, la cavalerie agit en conservant une réserve qui lui permet de répondre à la réaction adverse. Le rythme du combat est en effet très rapide, de même que les mouvements des unités montées des deux camps. Ainsi, à Essling, les cuirassiers français chargent avec succès l’infanterie ennemie mais sont ensuite ramenés par la cavalerie autrichienne, puis sauvés par la cavalerie légère de Lasalle qui attaque à son tour les cavaliers autrichiens.

La charge du 5e Dragons à Austerlitz

Vient la poursuite, après que l’ennemi ait été défait au cours de la bataille décisive qui scelle le sort de la campagne. Elle commence avec la dernière charge, la cavalerie talonnant les unités en retraite, mais ne se limite pas à un simple suivi. C’est en réalité une manœuvre complexe, sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines, mettant en jeu la coopération interarmes. En 1805, Murat prend en chasse un corps autrichien qui a échappé au piège d’Ulm, le rattrape et s’empare de 12 000 hommes, 120 pièces, 500 voitures de munitions et d’équipages, sans omettre un trésor de 400 000 florins. Après Iéna, Murat toujours, soutenu par les fantassins de Soult et Ney, poursuit directement les vaincus, tandis que le reste de la Grande Armée se dirige le plus vite possible sur Berlin, faisant écran entre l’Oder et les Prussiens en retraite, empêchant ainsi ces derniers de gagner leurs bases arrières de Prusse-Orientale ou de Silésie. Finalement, à l’issue de 40 jours de campagne, Napoléon a fait 140 000 prisonniers. Dernier cas : en juin 1807, Benningsen, après Friedland, se replie sur la rive droite de l’Alle. L’Empereur, désireux de contrarier la marche russe sur Koenigsberg, lance dans cette direction Murat avec 150 escadrons (21 000 chevaux), soutenus par les 3e et 6e CA. En même temps, les dragons et une division de cavalerie légère s’attachent aux pas de l’adversaire, le ralentissant énormément. Au bout du compte, Benningsen, précédé dans sa zone de regroupement, pressé en queue, dans l’impossibilité de se réorganiser, repasse le Niémen. Les pourparlers de Tilsit peuvent s’ouvrir. Le contre-exemple demeure la première campagne de Saxe au printemps 1813. Dépourvu de cavalerie efficace, l’Empereur ne peut mener à bien ses combinaisons, tant dans les marches d’approche qu’à l’issue des batailles de Lützen ou Bautzen, et voit l’armée coalisée se replier en bon ordre, sans pouvoir la détruire.

Le 2e Dragons à Iéna

Enfin, quoique il s’agisse d’un aspect relativement marginal, il convient de parler des raids ou des manœuvres de harcèlement menés essentiellement par la cavalerie légère (pensons aux souvenirs de Marbot), ou encore des opérations de contre-guérilla, tant en Espagne qu’en Saxe, en juin 1813 (le but recherché étant alors de recouvrer la sûreté des lignes d’approvisionnement dans la zone de l’Elbe et la Basse-Saxe, soit en escortant les convois, soit en quadrillant la région pour repérer et détruire les petits détachements ennemis).
Bref, hormis quelques cas particuliers, l’action de la cavalerie s’intègre au sein d’une manœuvre interarmes. Un témoignage parmi d’autres est fourni à ce propos par les instructions de Napoléon à Eugène de Beauharnais, en juin 1809 : « Vous devez marcher avec une avant-garde composée de beaucoup de cavalerie, d’une douzaine de pièces d’artillerie et d’une bonne division d’infanterie. Tout le reste de vos corps doit bivouaquer à une heure derrière, la cavalerie légère couvrant comme de raison autant que possible. (…) De votre avant-garde à la queue de votre parc, il ne doit pas y avoir plus de trois à quatre lieues. »

Sources :
1/ Jean-François Brun, Le cheval dans la Grande Armée, Revue historique des armées 2007
2/ Thiébault, Manuel général du service des états-majors généraux et divisionnaires dans les armées