Wavre 2016

Wavre 2016
Providence - 2e Dragons - Wavre 2016

jeudi 7 mars 2019

LA CAVALERIE IMPERIALE (2/3)


Un mode de combat quasi unique : le choc (1)

L’ordonnance du 20 mai 1788 qui régissait les manœuvres de cavalerie a été remplacée par celle du 1er vendémiaire an XIII (23 septembre 1804), qui simplifie ces dernières. Comme pour l’infanterie, le respect des alignements s’avère impératif afin de conserver la cohésion censée garantir l’effet de masse. Mais cela exige des montures de taille comparable, fournissant une battue identique, si bien que les règlements distinguent des chevaux de cavalerie légère, de dragons (utilisés également par l’artillerie à cheval) et de cuirassiers (ou carabiniers). La formation de base demeure la ligne de quatre cavaliers (qui, par simple conversion d’un quart de tour, devient file). Une fois que la recrue maîtrise l’équitation, l’entraînement consiste donc d’abord en évolutions par quatre ou par peloton (c’est-à-dire par demi-compagnie), la cohésion des quatre pelotons d’un escadron demeurant le principe de base de la manœuvre en campagne.

Le 21e Dragons attend l'ordre de charger

Les formations se répartissent en deux grands types : la colonne pour le déplacement ou les mouvements d’approche, la ligne pour le combat afin d’utiliser pleinement la puissance de choc. Étant donné qu’un cheval occupe, dans un rang, un peu moins d’un mètre, le front d’un détachement de cavalerie correspond, en ligne, à peu près à la moitié de l’effectif considéré. Une compagnie de cuirassiers, se préparant à charger sur deux rangs (un par peloton), représente ainsi un quadrilatère de cinquante mètres sur six.

Le 23e Dragons en colonne

En règle générale, l’arme d’épaule (fusil ou mousqueton) est essentiellement utilisée par les postes avancés, pour la défense d’un stationnement ou encore pour l’attaque à pied d’une position organisée. Toutefois, ce combat d’infanterie demeure exceptionnel. On cite souvent à ce propos l’action en 1805 d’un escadron du 9e dragons qui combat à pied dans les rues du village de Wertingen pour en déloger les tirailleurs ennemis. En revanche, avant-gardes ou flancs-gardes qui explorent le terrain durant les marches progressent le mousqueton ou le fusil posé sur la cuisse, prêts à faire feu. Enfin, le tir à cheval est également pratiqué, en dépit de la difficulté à recharger et, surtout, des résultats aléatoires qu’il procure.

Dragon en vedette

Contrairement à l’infanterie, dont l’efficacité tient avant tout à sa capacité de feu (les affrontements à la baïonnette s’avèrent en réalité très rares), la cavalerie agit essentiellement par le choc en recourant à l’arme blanche, en l’occurrence le sabre (l’usage du pistolet est en effet abandonné depuis 1776 dans la cavalerie française et la lance n’est introduite qu’en 1811). Les spécialistes de l’époque n’envisagent d’ailleurs pas d’autre mode d’action. Guibert, référence de la pensée militaire du XVIIIe siècle, est très net dans son Essai général de Tactique (1772) : « La cavalerie n’a qu’une manière de combattre, c’est par la charge ou le choc. Toute action de feu en troupe lui est impropre. La vitesse et la cohésion sont ses qualités essentielles. » Thiébault est tout aussi catégorique : « La cavalerie a deux manières de combattre, en chargeant et de pied ferme. Cette dernière lui ôte une si
grande masse de ses avantages qu’elle ne doit être adoptée que par l’effet d’une véritable nécessité
(…). Observons cependant que, lorsqu’elle sera réduite à cette manière de combattre, la cavalerie
devra faire précéder l’emploi du sabre par celui de ses armes à feu, afin de compenser, autant que
possible, l’inconvénient de l’immobilité. »

Charge à Eylau

Un régiment peut attaquer selon quatre modalités : en ligne (avec ses escadrons accolés), en colonne (par escadron ou peloton), en échelons ou en échiquier. La cavalerie lourde adopte habituellement la colonne de peloton (25 hommes de front, chacun des deux pelotons étant disposé sur deux rangs), ce qui accroît la puissance de choc. En général cependant, lorsqu’il s’agit d’assaillir un carré d’infanterie, la largeur du front correspond à celle d’un escadron, avec pour direction d’attaque l’un des angles du carré. La formation en bataille, utilisée notamment pour la charge, se prend sur deux rangs (séparés de 65 cm environ), un cavalier du deuxième rang pouvant espérer éviter un cavalier du premier rang qui chute, ce qui s’avérerait impossible pour un cavalier de troisième rang. Si bien qu’en dépit de son règlement qui prévoit trois rangs, la cavalerie autrichienne charge elle aussi, sous l’Empire, sur deux rangs. Dans tous les cas, officiers et sous-officiers ont des places strictement assignées dans le dispositif, ce qui permet d’entraîner par l’exemple les soldats, qui ont toujours sous les yeux un cadre dont il suffit d’imiter les mouvements.

18e Dragons à Elchingen

Les cavaliers quittent leur position de départ au trot, prennent le petit galop à deux cents pas de l’ennemi et le galop de charge à quatre-vingts pas, à la sonnerie de trompette. Mais l’effet de masse (la progression « botte à botte ») compte davantage que la vitesse pour briser les rangs adverses. Dans certains terrains défoncés ou encombrés d’obstacles, la cavalerie progresse au trot (on verra même des unités charger quasiment au pas dans la tempête de neige d’Eylau). À Marengo, la grosse cavalerie de Kellermann prend le galop à soixante mètres seulement des dragons autrichiens. À Altafulla, Curély fait sonner la charge à cinquante mètres de la cavalerie espagnole. À Zehdenick, Lassalle charge à dix mètres. Les cavaliers peuvent également se contenter d’attendre l’ennemi. Lors de la retraite du Portugal, Sainte-Croix demeure immobile avec ses dragons, sabre pointé en avant puis contre-attaque après le choc. Bref, en matière de combat à cheval, la compacité apparaît préférable au mouvement. Ardant du Picq résume ces observations en quelques lignes : « La cohésion et l’ensemble faisant la force de la charge, on s’explique, l’alignement étant impossible à une allure vive où les plus vites dépassent les autres, comment il ne faut lâcher la bride que lorsque l’effet moral est produit et qu’il s’agit de le compléter en tombant sur l’ennemi déjà en désordre, en train de tourner le dos, etc. Ainsi chargeaient les cuirassiers : au trot (…). Jomini parle de charges au trot contre cavalerie lancée au galop et cite Lasalle qui en agissait souvent ainsi et qui, voyant cavalerie accourir au galop, s’écriait : “Voilà des gens perdus.” Jomini fait de cela affaire de choc : le trot permet l’union, la compacité que le galop désunit. Tout cela peut être vrai ; mais affaire d’effet moral avant tout. Une troupe lancée au galop qui voit arriver à son encontre un escadron bien serré, au trot, est étonnée d’abord d’un aplomb semblable ; par l’impulsion matérielle supérieure du galop, elle va la culbuter ; mais point d’intervalles, point de trous par où passer en perçant. »

Le 16e Dragons à Iena

Le général Thiébault, de son côté, théorisait déjà cela d’une façon générale en quelques lignes : « La plus grande force d’une cavalerie qui charge étant dans l’effet moral qu’elle produit, et dans son choc, et cet effet moral et ce choc ne pouvant résulter que de l’ordre et de la vitesse, tout doit être sacrifié à le maintenir et à la rendre toujours croissante, sans rien perdre de la régularité dans les rangs, dans la formation, dans les mouvements et dans l’attaque. » Dès lors, la charge en muraille demeure le mode habituel, la charge en ordre dispersé (« en fourrageurs ») étant pratiquée seulement contre l’artillerie.


Sources :
1/ Jean-François Brun, Le cheval dans la Grande Armée, Revue historique des armées - 2007
2/ Thiébault, Manuel général du service des états-majors généraux et divisionnaires dans les armées – 1813
3/Ardant du Picq, Études sur le combat – Combat antique et combat moderne