Wavre 2016

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Providence - 2e Dragons - Wavre 2016

samedi 2 février 2019

LA CAVALERIE IMPERIALE (1/3)

MISSIONS ET SPÉCIALITÉS INTERNES (1)

Avant d’exposer en détail l’organisation de la cavalerie, il importe de conserver à l’esprit que cette arme n’emporte plus la décision à l’époque impériale . La victoire est désormais principalement liée aux capacités de l’infanterie. Les analyses du général Thiébault s’avèrent à cet égard sans appel (2) : « L’erreur qui est la plus fatale [à la cavalerie] est de la considérer autrement que comme un accessoire de la force des armées. À peu d’exceptions près, elle doit servir à compléter la victoire, parfois à la décider, et non à l’obtenir. L’artillerie doit ébranler et entamer les masses et les lignes, l’infanterie doit les culbuter et les rompre, la cavalerie doit les disperser et faire des prisonniers. Ses charges doivent être peu fréquentes, mais quand elle en exécute, elle doit le faire à toute outrance ; et comme elle ne peut combattre que corps à corps, elle ne doit paraître que pour frapper. » Parmi bien d’autres, on peut illustrer cette réalité en rappelant le combat de Heilsberg en juin 1807 où, après plusieurs charges de cuirassiers et de dragons, les fantassins du maréchal Ney passent à l’attaque et enfoncent le dispositif ennemi.

Combat de Heilsberg en juin 1807

Comme dans toutes les armées de l’époque, la cavalerie remplit un double rôle. Elle permet d’abord de se renseigner loin en avant et de garantir la sûreté des flancs lors des déplacements. Ces fonctions sont essentiellement dévolues à la cavalerie légère, hussards ou chasseurs, recrutée parmi les hommes de petite taille, munie de montures rapides, et qui peut à l’occasion effectuer des raids ou mener des opérations de harcèlement (ce que les auteurs nomment alors « la petite guerre »). Mais la cavalerie légère agit également par le choc, c’est-à-dire en pratique la charge sabre au clair, qui se termine théoriquement par un affrontement direct.

Charge du 4e Hussards à la bataille de Fiedland, le 14 juin 1807

Il existe parallèlement une seconde subdivision d’arme, la « grosse cavalerie » (la « lourde » pour reprendre notre expression contemporaine), qui retient conscrits et volontaires de taille élevée, ainsi que les chevaux hauts et puissants. Spécialement conçue pour la charge qui désorganise l’attaque de l’adversaire ou disloque son dispositif, elle regroupe les régiments de cuirassiers et de carabiniers, dotés d’équipements spéciaux de protection, casques et cuirasse théoriquement à l’épreuve des balles, alors que le reste de la cavalerie porte simplement, un jour de bataille, le manteau roulé en sautoir sur l’épaule gauche, de façon à garantir autant que faire se peut la poitrine (et dans une moindre mesure le côté de la main de bride).

Charge des chasseurs à cheval de la Garde à Austerlitz

Il faut savoir que sous l’Ancien Régime, l’appellation « cavalerie » désigne exclusivement la grosse cavalerie. Toutefois, en 1765, la cavalerie française a abandonné la cuirasse si bien que, sous la Révolution, seul le 8e régiment de cavalerie la porte encore. La réorganisation consulaire modifie cet état de fait et classe dans la cavalerie de bataille (ou grosse cavalerie) 4 régiments (en plus du 8e) le 17 septembre 1802. Le 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803) sont créés les cuirassiers. Forts de 12 régiments (puis 13 à partir de 1807 et enfin 14 en 1810), ils reçoivent progressivement, jusqu’au début de 1805, une cuirasse double de 7,5 kg (qui protège le torse et le dos) et un casque destiné à remplacer le chapeau. Au terme du décret du 24 décembre 1809, d’autre part, les carabiniers, jusqu’alors équipés d’un uniforme de tissu et d’un bonnet à poil, sont dotés d’une cuirasse et d’un casque à la romaine. Dès lors, à son apogée, l’Empire dispose de 16 régiments spécialisés, considérés comme des unités d’élite. L’existence de cuirassiers demeure apparemment l’apanage des grands États européens, les petites ou moyennes puissances ne possédant que des dragons (casqués mais non cuirassés). Répondant à un usage tactique particulier dans la bataille, la présence de cuirassiers au sein de la Garde impériale ne saurait par ailleurs se justifier, les grenadiers à cheval, épaulés par le régiment de dragons à partir de 1806, y jouant le rôle de grosse cavalerie.

Les cuirassiers à Friedland

Les dragons, censés au début de l’Empire combattre aussi bien à pied qu’à cheval, utilisent pratiquement de façon exclusive le déplacement et le combat équestre et sont très rapidement considérés comme membres à part entière de la grosse cavalerie. Mais le fait qu’ils soient seulement munis d’un casque et dépourvus de cuirasse ne permet pas de les assimiler totalement aux cuirassiers, bien qu’au combat ils puissent intervenir aux côtés de ces derniers, voire à leur place. D’où une subtile nuance terminologique dans les récapitulations de 1812, qui distinguent divisions de cuirassiers (cuirassiers et carabiniers) et divisions de grosse cavalerie (dragons).

2e Dragons à Sainte-Croix en plaine (24/12/2013)

Une autre question, tout aussi épineuse, est celle des chevau-légers lanciers. Créés le 18 juin 1811 sur le modèle des cavaleries d’Europe orientale, issus des dragons, équipés d’un pistolet, d’un mousqueton (avec baïonnette), d’un sabre et d’une lance de 2,75 mètres, ils prennent rang dans la cavalerie légère mais agissent en 1812 de concert avec les cuirassiers, auxquels ils sont rattachés à raison d’un régiment par division.

Charge des lanciers rouges de la Garde à Waterloo

NB : Sous la Révolution existent 18 (puis 21) régiments de dragons. Les réorganisations menées par le Consulat en 1804 aboutissent à un total de 30 corps, obtenu par l’adjonction aux 21 déjà existants de 7 régiments de cavalerie et 2 de hussards. En 1805, chaque régiment aligne trois escadrons à cheval et un escadron à pied. Chacun de ces derniers est intégré au départ du camp de Boulogne dans la division de dragons à pied du général Baraguay d’Hilliers. Les chevaux pris aux troupes adverses lors de la campagne de 1805 permettent ensuite de les monter. On retrouvera en Espagne des dragons à pied, mais ils constituent là encore une minorité, d’ailleurs rapidement dotée de chevaux.

 Retour des dragons de l'armée d'Espagne, en 1814.

Malgré ces distinctions, l’organisation des régiments de cavalerie demeure semblable, quelle qu’en soit la spécialité. L’unité administrative de base, pour le service ou la police de la troupe, est la compagnie. L’escadron en revanche, composé de deux compagnies, constitue l’unité tactique élémentaire, commandée par le plus ancien des deux capitaines. Son effectif a légèrement varié au long de la période napoléonienne. En l’an X, l’escadron de carabiniers ou de cavalerie équivaut à 192 combattants, celui de dragons, de hussards ou de chasseurs à 232. Puis, le 10 mars 1807, un décret augmente le nombre de simples soldats. En fait, durant la majeure partie de l’Empire, l’escadron de grosse cavalerie représente 200 hommes (tous grades confondus), celui de légère 250.
En 1812, un régiment aligne théoriquement quatre escadrons de guerre et un cinquième de dépôt (9e et 10e compagnies) spécialisé dans l’instruction et les remontes. L’étude des livrets d’appel montre qu’une brigade regroupe généralement 8 escadrons (de deux, voire trois ou quatre régiments différents). Une division est quant à elle formée de deux ou trois brigades et d’une à deux compagnies d’artillerie à cheval. De plus, en règle générale, les divisions sont composées d’une même subdivision d’arme, légère ou lourde (avec toutefois là encore des divisions de cuirassiers et de carabiniers d’un côté, et des divisions de dragons de l’autre, dans le souci d’un emploi tactique optimal).

4e Dragons

Reste à aborder la question de la mobilité. La charge portée par l’animal définit en effet les possibilités de déplacement et, partant, la tactique et l’emploi de la cavalerie. À la fin de l’Ancien Régime, en France, en moyenne, elle représente (homme compris) 175 kg par monture. Or, la propension à doter les cavaliers d’une panoplie d’armes* provoque sous l’Empire un certain nombre de critiques de la part des spécialistes qui estiment qu’on les alourdit inutilement** (ce qui conduit certains d’entre eux à « perdre » une portion de leur armement dès l’entrée en campagne). La mobilité des diverses unités de cavalerie s’avère néanmoins très comparable. Fondée sur une combinaison des trois allures, le pas (100 m/minute), le trot (240 m/minute) ou le galop (300 m/minute), elle autorise une vitesse moyenne de déplacement, en dehors du champ de bataille, de 4,8 à 5 km/h en terrain praticable et de 6 à 7 km/h sur chemin (la progression de l’infanterie étant de 3 à 4 km/h et celle de l’artillerie d’environ 3 km/h en terrain uni). Mais l’entraînement des troupes permet, au début de l’Empire, de dépasser si nécessaire ce seuil moyen. En 1806, les hussards de la brigade Lasalle couvrent 1 160 km en 25 jours (soit 46 km quotidiens en moyenne) tout en combattant les Prussiens !


Le Général Lasalle menant une charge à Wagram.

Surtout, en dépit des distinctions fonctionnelles établies au sein de la cavalerie française, tous ses régiments connaissent une identité de leur mode de combat, fondé sur un recours au choc de préférence à la fourniture de feux.


* Tous les cavaliers possèdent un sabre (droit pour les carabiniers, cuirassiers et dragons, courbe pour les chevau-légers, chasseurs et hussards) et un ou deux pistolets, auxquels les chevau-légers ajoutent la lance. Les unités de cavalerie légère sont également dotées d’un mousqueton et d’une baïonnette, les dragons d’un fusil (plus court que celui de l’infanterie) et de sa baïonnette. Les carabiniers disposent eux aussi d’une arme d’épaule. L’Empereur songe d’autre part, depuis 1805, à équiper les cuirassiers d’un mousqueton, mais le décret pris en ce sens le 25 décembre 1811 n’est qu’incomplètement exécuté, si bien qu’en 1813, à une époque où la France connaît des difficultés à armer l’ensemble de ses troupes, une cinquantaine de cuirassiers par régiment seulement semblent en être munis.
**La selle complète (c’est-à-dire le corps de selle et ses accessoires, sacoches, longe-poitrail, sangles, contre-sanglons, étrivières, étriers, poches à fer, sans oublier la couverture ou le tapis de selle) pèse environ 26 kg, auxquels il convient d’en ajouter à peu près autant pour l’armement portatif (sabre, armes à feu) et les vêtements de rechange. S’y ajoutent les provisions éventuelles et le poids propre du cavalier (ainsi que, pour les cuirassiers et les carabiniers, celui de la cuirasse).

Sources :
1/ Jean-François Brun, Le cheval dans la Grande Armée, Revue historique des armées 2007
2/ Thiébault, Manuel général du service des états-majors généraux et divisionnaires dans les armées